Pourquoi le prix de l’essence monte encore?

12 avril 2012
no-hummer

Je suis heureux ce matin de vous présenter le travail d’un nouveau collaborateur. Michel Falardeau est un jeune retraité, passionné d’économie. Son premier billet sur le MajorBlog traite de la complexité de la fixation du prix de l’essence. La montée spectaculaire des prix à la pompe en décourage plus d’un. On se pose tous la même question…

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Pourquoi le prix de l’essence a-t-il explosé de 67% en moins de trois ans alors même que la demande diminue chez nous ?

En 2011, la demande d’essence aux États-Unis a diminué de 5%… et c’est une baisse qui se poursuit depuis déjà quatre ans en raison, notamment, d’une plus grande efficience du parc automobile, du vieillissement de la population et de la récession économique. Comment alors expliquer que les Québécois aient dû faire face à une hausse du prix de l’essence ordinaire à la pompe de 67% en moins de trois ans, le voyant passer de 0,80 $/litre en 2009 à 1,34 $/litre (et davantage) aujourd’hui ?…

Commençons d’abord par voir quelles sont les diverses composantes du prix de l’essence ordinaire au Québec à l’aide des données les plus récentes fournies par la Régie de l’énergie du Québec :

+ 0,77 $/litre pour le prix international du pétrole brut (Brent)
+ 0,08 $/litre pour le raffinage
+ 0,04 $/litre pour le transport et la vente au détail
+ 0,45 $/litre pour les taxes des divers paliers de gouvernement au Québec
= 1,34 $/litre pour le prix total de l’essence ordinaire au Québec

Il en ressort qu’en dehors des taxes chargées par les divers paliers de gouvernement, c’est le prix international du pétrole brut (Brent) (0,77 $/litre) qui constitue, et de loin, le facteur déterminant dans l’évolution du prix de l’essence au Québec… beaucoup plus que le coût de raffinage (0,08 $/litre), du transport et de la vente au détail (0,04 $/litre).

Alors, concentrons-nous maintenant sur l’évolution du prix international du pétrole brut (Brent). Quels sont les facteurs qui, au cours des trois dernières années, l’ont poussé de 0,31 à 0,77 $/litre aujourd’hui (une hausse de 148%) et ce, alors même que la consommation de pétrole dans les pays développés (Amérique du nord, Europe et Japon) poursuivait une baisse amorcée en 2005 ?…

Une première tendance à long terme : les Asiatiques s’enrichissent.
La demande de pétrole ne cesse de croitre dans les pays asiatiques avec le développement accéléré et l’enrichissement de leurs classes moyennes; c’est maintenant dans cette région du monde que se situe 70% de la croissance mondiale des achats de pétrole. Entre 2005 et 2010, la consommation de l’or noir y a augmenté de 17%, compensant largement la baisse de 9% observée dans les pays développés. Le graphique qui suit illustre très bien la croissance exponentielle de la consommation de pétrole en Chine :

En s’enrichissant, les Asiatiques adoptent progressivement les modes de vie des pays développés. Mais il leur reste encore un large écart à combler en ce sens. Présentement en Chine, seulement 30 personnes sur 1 000 possèdent une automobile, comparativement à 700 aux États-Unis et à 500 en Europe. Les Chinois ne consomment annuellement que 2,5 barils de pétrole par personne, comparativement à 25 pour les Américains. De fait, si tous les habitants de la planète adoptaient un standard de vie équivalent à celui des Américains, la demande mondiale en énergie quadruplerait.

Ces simples faits laissent clairement entrevoir que ce sont désormais les Asiatiques qui déterminent déjà et détermineront pour longtemps encore l’évolution du prix du pétrole dans le monde; comme le pétrole est une denrée transigée internationalement, il nous faudra bien offrir, ici au Québec, le même prix pour un baril de pétrole que celui que seront prêts à payer les Asiatiques pour combler leurs besoins croissants en énergie.

Une deuxième tendance lourde : les coûts d’exploration et d’extraction explosent !
Le pétrole conventionnel extrait de la terre et des zones côtières peu profondes s’épuise rapidement; depuis quelques années déjà, on en découvre et on en produit de moins en moins, non seulement aux USA mais même à l’échelle planétaire, notamment au Mexique et en Russie.

Pour découvrir et exploiter de nouveaux gisements de pétrole, il faut désormais forer beaucoup plus creux, dans des environnements souvent plus hostiles (comme en haute mer) et avec des technologies de plus en plus poussées. Alors qu’il n’en coûte que 1% de l’énergie contenue dans le pétrole conventionnel pour l’extraire des nappes souterraines et le transformer, c’est en moyenne l’équivalent de 15% du contenu énergétique des sables bitumineux qu’il faut payer pour en extraire l’or noir… et pour le pétrole contenu dans les sols de schiste, c’est autour de 40% de nos jours. Il devient donc de plus en plus coûteux de trouver et d’extraire du pétrole à partir de dépôts qui posent des défis techniques, et même parfois politiques, de plus en plus grands.

Source:crookedmonkey.com

Une troisième tendance : certains pays de l’OPEP ont des besoins budgétaires pressants
Dans plusieurs pays membres de l’OPEP, les revenus de la vente du pétrole servent à équilibrer les budgets nationaux. En Arabie saoudite, par exemple, le prix du baril de pétrole requis pour défrayer ses dépenses publiques est passé de 30 $US en 2003 à 100 $US présentement. Ce prix « plancher » saoudien devrait poursuivre son ascension dans les années à venir, car le roi et les princes saoudiens n’ont guère le choix de desserrer les cordons de la bourse pour améliorer les conditions de vie de leur population s’ils veulent prévenir que le vent d’émeutes et de révoltes populaires qui souffle au sein d’autres nations arabes avoisinantes ne vienne également soulever les citoyens de leur royaume contre leur propre dynastie.

À plus court terme
Selon M. Kent Moors, un consultant international en énergie, nous vivons présentement une contraction temporaire dans l’offre de pétrole au niveau mondial qui pourrait durer de trois à neuf mois et pousser le prix du baril de pétrole jusqu’autour de 160 $US. Il explique cette situation du fait que les producteurs de pétrole ont pratiquement cessé leurs activités d’exploration et de développement quand le prix du baril de pétrole est descendu autour de 30 $US en 2008… pour ne les reprendre qu’un an plus tard, quand le prix en est remonté autour de 80 $US. Selon ses calculs, c’est maintenant que nous devrions en ressentir les effets sous la forme d’une diminution dans la production de pétrole à l’échelle planétaire alors que la demande mondiale, elle, ne cesse d’augmenter.

Effet saisonnier, le froid intense qu’ont subi les Européens y a fait augmenter la demande en pétrole au cours de l’hiver. Et maintenant que la saison estivale approche, les raffineries préparent présentement l’essence d’été qui exige davantage de pétrole brut en raison des normes environnementales plus sévères visant à minimiser le phénomène de « smog » par temps chaud.

En outre, la fermeture de nombreuses centrales nucléaires force actuellement le Japon à importer davantage de pétrole.

Enfin, l’escalade du conflit potentiel avec l’Iran vient ajouter une « prime de risque » significative au prix de base du pétrole.

Que conclure de tout cela ?…
En s’enrichissant, des milliards d’Asiatiques qui vivent de l’autre côté de la planète ont déjà fait et pourraient bien continuer à faire monter le prix que nous payons pour notre propre essence, ici même au Québec.

Présentement, tendances lourdes et facteurs plus à court terme se conjuguent donc pour pousser à la hausse le prix international du pétrole brut et, du fait même, celui  de l’essence au Québec.

Mais ce qu’il importe surtout de retenir, c’est que ce ne sont plus les aléas des économies développées qui déterminent l’évolution du prix du pétrole, mais bien les besoins sans cesse grandissants en énergie des pays émergents. L’ascension récente du prix du pétrole ne semble donc pas un événement sporadique attribuable uniquement aux turbulences temporaires qui surviennent présentement dans le monde arabe où se trouvent une grande partie des réserves mondiales de pétrole… mais bien plutôt la résultante du développement de classes moyennes de plus en plus riches dans les pays émergents, notamment en Chine et en Inde, ainsi que des coûts d’extraction de plus en plus élevés en Amérique du Nord.

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que ces mêmes tendances lourdes font exploser le prix international du pétrole brut. Du début du siècle jusqu’en 2008, elles l’ont fait bondir de 0,10 à 0,87 $/litre… et le prix de l’essence ordinaire au Québec a suivi, passant de 0,52 à 1,45 $/litre.

Mais la sévère crise financière de 2008 a fait largement reculer toutes les bourses mondiales, entrainant aussi une dégringolade du prix international du pétrole brut jusqu’à 0,31 $/litre… et le prix de l’essence ordinaire au Québec emboitait le pas pour descendre jusqu’à 0,80 $/litre.

Depuis ce creux de récession, les tendances lourdes ont cependant rapidement repris le dessus dès 2009 et ce sont elles qui sonnent à nouveau la charge, propulsant, une autre fois, le prix international du pétrole brut, de 0,31 à 0,77 $/litre aujourd’hui…  et, du même coup, celui de l’essence ordinaire au Québec de 0,80 à 1,34 $/litre en moins de trois ans.

Et ces forces prédominantes du marché mondial pourraient bien continuer à influencer fortement à la hausse le prix que nous devrons payer dans les prochaines années pour notre essence dans nos propres stations de service, ici même au Québec.

Par Michel Falardeau

 

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Par Fabien Major

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